Le crack
Le crack provient de la cocaïne qui a été « cuisinée », c’est une substance stimulante. Elle est souvent fumée à l’aide d’une pipe. Les effets sont très intenses mais ne durent pas très longtemps. C’est ce qui crée une sensation de manque exacerbée qu’on appelle le craving. Si celle-ci a toujours été présente, la forte augmentation de la consommation de crack à Genève depuis début 2021 s’explique par la disponibilité du produit et la croissance de la précarité au niveau des personnes usagères de drogues (suite notamment à la pandémie). La consommation de crack péjore certains aspects de la vie des usager.ère.s, des riverain.e.s et des commerçant.e.s.
La précarité et la consommation compulsive amènent :
- manque de sommeil
- manque d’hydratation
- perte de sensation d’appétit
- augmentation de la violence
Nous avons rapidement fait le constat, partagé avec Département de la Santé et la Police que les mesures ne correspondaient plus totalement. Nous avons travaillé en concert sur deux séries de mesures, afin de répondre à cette situation.
Si la consommation de crack est un phénomène observable dans plusieurs régions de Suisse et du monde, la situation genevoise a une ampleur et une rapidité qui ne se retrouvent pas ailleurs.
Le tableau ci-contre montre l’évolution de la consommation de crack au sein du Quai 9. Il montre le nombre de passages mensuels en salle de consommation et compare les mois d’octobre de 2017 à 2022. Cela montre que nous sommes véritablement confronté à une crise, et pas simplement à une petite variation saisonnière.
Fait particulièrement préoccupant, la consommation de crack semble se répandre plus fortement au sein d’un public qui est déjà précarisé. Cela péjore des situations déjà préoccupantes et rend le travail d’accompagnement particulièrement difficile.
Une première réponse - Février 2023 : Prise de conscience et plan d'action hivernal d'urgence
L’augmentation de la violence se concentrait en premier lieu entre les usager.ères mais impactait également les équipes de Première ligne. L’hiver arrivant, la situation risquait encore de grandement se péjorer, notamment à cause du manque de logement disponible, de l’augmentation des besoins caloriques et des problèmes cutanés (sécheresses, crevasses, plaies et risques d’infection).
Le plan mis en place dès janvier 2023 a été élaboré sur la base de réflexions au sein des équipes de Première ligne, d’un groupe de travail ad hoc, d’une rapide revue de littérature ainsi que d’échanges avec le réseau. Nous nous sommes également basé sur les résultats de l’étude menée par Addiction Suisse : Rapport crack – Addiction Suisse. Il visait à fournir les meilleures réponses possibles dans un contexte de relative urgence. Dans un premier temps nous avons proposé des mesures se basant sur les infrastructures existantes et pouvant donc être implémentées rapidement.
Accès au matériel et au lieu
Adaptation du matériel de RDR
Une des première mesure mise en place par l’association a été de rendre le matériel adéquat disponible (pipes à crack en verre, d’embouts, de grilles en métal et de briquets).
Les études montrent un plus haut taux de prévalence du VHC pour les personnes consommant du crack. Cela est dû principalement à l’échange de matériel, notamment les pipes, filtres et les briquets. En sus de ce qui se faisait déjà, il fallait réfléchir à la distribution de gel hydroalcoolique pour les mains, de baumes à lèvres ainsi que de gomme à mâcher pour faciliter la salivation.
Adaptation des pratiques
Le nombre de passages quotidiens ainsi que l’augmentation des actes de violence nous ont obligé à prendre certaines mesures pour garantir l’accès à la salle et la sécurité de l’équipe du Quai 9 :
• Filtrage à la grille afin de réguler le nombre de personnes dans l’enceinte
• Possibilité de fermer le lieu pour de courtes périodes en cas d’augmentation des tensions
• Mise en place de séances de supervision et analyse de pratiques à quinzaine
Mise en place d’une semaine de Drug checking dans le cadre de l’étude menée par Addiction Suisse
Un nouvel outil, le Nirlab, permet de tester les substances avec un résultat immédiat. A la suite de tests effectués à Lausanne, il paraissait très intéressant de le tester une semaine à Genève. Cela a permis d’ouvrir la discussion avec les usager.ère.s sur leur consommation et de nous donner une idée de la composition réelle du produit consommé.
Mise à l'abri
La précarité amplifie les problèmes liés à la consommation, qu’il s’agisse de comorbidités psychiatriques ou de l’état sanitaire global. En 2020 nous avions pu expérimenter la mise en place d’un SleepIn dans les locaux de l’association. Cette expérience, bouleversée par l’arrivée de la pandémie, s’est révélée très positive et a eu de nombreux effets positifs sur la population accueillie.
Une des problématiques majeures du crack est la perte massive de sommeil, l’hiver arrivant, il était fondamental de remettre en place ce dispositif. Depuis février 2022, nous proposons 12 places par nuit 7j/7j.
Accueil de jour
En 2020 nous avons ouvert l’espace Bagagerie, situé à la place des Grottes. Cette petite arcade permet aux usager.ères de venir déposer leurs « bagages » et de boire un café dans un endroit calme.
Il nous semblait nécessaire de bénéficier d’un lieu qui puisse permettre aux personnes de se poser et d’avoir accès à des boissons et de la nourriture. La consommation de crack provoque des pertes de poids dont les conséquences sont encore aggravées avec l’arrivée de l’hiver. Le nombre trop important de passages au sein du Quai 9 rendait ces prestations impossibles là-bas, ce qui nous a obligé à inventer une alternative.
Travail de rue (MSO)
Afin de ne pas voir s’installer une situation hors de contrôle, il était crucial de rester en contact avec l’ensemble des personnes consommant du crack. Pour ce faire nous devions sortir de nos murs. Le but était de créer une relation avec les personnes qui n’étaient pas inscrites au Quai 9 et de pouvoir distribuer du matériel et des conseils.
Avec l’arrivée du crack, il s’agissait de développer des Maraudes spécifiques à la Scène Ouverte (MSO), permettant une présence suffisamment importante et régulière sur la scène directement accolée au Quai 9, ainsi que sur l’ensemble du territoire genevois. Ces MSO devaient à terme devenir pluridisciplinaires grâce à la participation de collègues d’autres secteurs comme les infirmiers en psychiatrie du CAAP Arve ou du service d’addictologie des HUG.
Réseau
L’association Première ligne ne pouvait pas affronter seule l’arrivée de la consommation de crack à Genève. Une réponse cohérente devait être apportée, notamment avec les différentes polices, les structures de soin, les TSHM de la ville, des représentants des riverains, etc. Cette consommation se propageant rapidement, il paraissait également intéressant d’intégrer nos homologues du canton de Vaud. Cette situation touchant particulièrement le quartier des Grottes, le travail avec le voisinage a également dû être fortement renforcé.
Répression
Ce chapitre n’est pas entre les mains de Première ligne. Néanmoins il faut de mentionner que, si nous allions agir du côté de la demande, une action était également nécessaire du côté de l’offre. La sécurité de nos usager.ère.s est une notion tout à fait essentielle, nous avons donc consolidé nos liens déjà existants avec la police afin de pouvoir la leur garantir.
Etude et documentation
Pour répondre au manque de données sur le crack à Genève une étude a été lancée par Addiction Suisse sur mandat du Canton (DGS). Cette étude nous a permis de mieux comprendre le phénomène de la consommation du crack et, ainsi, d’adapter au mieux notre réponse. Cette étude a été faite en étroite collaboration avec les équipes de Première ligne.
Vous pouvez trouver l’étude ici : Rapport crack – Addiction Suisse
Deuxième réponse - Plan stratégique et ambitieux multi départemental pour 2024
Nous avons travaillé avec ardeur afin d’élaborer ce plan qui a démarré en décembre. Ce nouveau plan stratégique a été construit suite aux constats que nous avons pu faire des différentes mesures proposées depuis début 2023.
Plus concrètement, c’est un budget de plusieurs millions de francs qui ont été attribués à Première ligne pour la mise en place de diverses mesures que vous pouvez découvrir en détail plus bas.
Adaptation du lieu
Malgré tous nos efforts, la consommation de crack dans la salle de consommation du Quai 9 n’était pas possible dans ces proportions. Après plusieurs essais d’adaptation de notre part, nous avons dû fermer le Quai 9 en été 2023 pendant une semaine pour que les équipes aient l’opportunité et le temps d’échanger sur des potentielles solutions pour que le lieu redevienne sécure pour le personnel et les bénéficiaires.
L’espace actuel à disposition ne permettait pas d’accueillir cette consommation car nous tournions déjà à plein régime. Au vu de tous les constats que nous avons fait depuis l’arrivée du crack à Genève, nous avons décidé qu’une solution concrète serait l’agrandissement du Quai 9. Cela nous permettrait de mieux accueillir notre public en créant également une salle dédiée à la consommation de crack ainsi qu’au repos et à l’encadrement des personnes concernées par l’usage de cette substance.
Augmentation des maraudes et des ateliers
Les maraudes nocturnes ont un franc succès auprès des consommateur.trice.s et permettent également de réduire les tensions dans le quartier des Grottes et aux alentours. C’est avec grande joie que nous pouvons confirmer qu’ils continueront d’exister et que ces dispositifs vont pouvoir être renforcés. Ils offrent un soutien plus que nécessaire à une population fragilisée par la présence du crack.
Après la phase de test qui a eu un franc succès auprès des consommateur.trice.s et nous a également permis de réduire les tensions dans le quartier des Grottes et aux alentours, nous allons augmenter le nombre de tournées de rues.
Une des demandes des consommateur.trice.s de crack, est le fait de pouvoir occuper son temps de façon productive. Cela leur permet en effet de ralentir et de moins se retrouver dans des phases compulsives de consommation. Nous allons augmenter le nombre d’ateliers rémunérés proposés aux usager.ère.s par le Pôle de valorisation.
Places en hébergement d'urgence
Nous avons obtenu la confirmation de pouvoir héberger nos consommateur.trice.s et avons désormais 9 places au Passage et 3 au CausE. Ce sont des lieux d’hébergement d’urgence pour personnes en situation de forte précarité. Ces lieux n’offrent pas les possibilités de consommation, mais avons la chance de pouvoir travailler avec ces lieux. Ceux-ci sont encadrés par des équipes tout à fait professionnelles qui accueillent les consommateur.trice.s dans toutes leur complexité.
La question de l’hébergement est la première étape qui permette de durablement mettre des personnes à l’abri et, avec notre soutien, de pouvoir faire évoluer les situations des personnes.
Avec les 12 places supplémentaires que nous proposons chaque soir dans l’enceinte du Quai 9 grâce au dispositif SleepIn, c’est un total de 24 personnes qui peuvent être mise à l’abri 7j/7j.
Travail en réseau
La crise du crack est venue bouleverser l’ensemble du réseau existant et nous a poussé à travailler tou.te.s ensemble. Nous sommes très enthousiastes de renforcer les liens existants et de pouvoir travailler toujours mieux en commun, cette fois-ci avec les ressources adéquates. C’est en grande partie grâce au travail avec les partenaires (Département de la Cohésion Sociale, Police, CAAP Arve, Argos et bien d’autres) que nous réussissons à proposer des prestations adaptées aux divers besoins des usager.ère.s.
Un exemple concret de ces collaborations tout à fait fructueuses sont les tournées de rues que nous effectuons avec nos partenaires du CAAP Arve. Nous sommes enchanté.e.s de poursuivre ce travail et sommes convaincu.e.s des bienfaits que peuvent avoir ces diverses collaborations.